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Je traite dans ces oeuvres du thème de la rencontre avec l’autre à partir des voyages et itinérances qui ont jalonné mon parcours.

RECONCILIATIONS ?

 

Ces œuvres appartiennent à la série des « Cosmogonies ». Si elles réitèrent le principe de superposition numérique de portraits de femmes du monde sur fond de carte géographique où les continents sont mêlés, elles en sont aussi un prolongement. Au-delà du changement de support et de l’intégration d’objets et de matériaux, au-delà d’un discours ayant toujours le concept de diversalité comme fil d’Ariane, ces œuvres sont une réflexion sur notre être au monde. Elles interrogent notre posture, notre rapport à l’Autre, notre manière d’envisager la Rencontre. Elles sont un hommage à l’altérité. 

Inde, Mayotte, Thaïlande, Kenya… Autant de pays arpentés, autant d’occasions de « frotter sa cervelle contre celle d'autrui » pour reprendre les mots de MONTAIGNE. Pour répondre à cette double rencontre qu’est le voyage, chaque œuvre se présente comme la fusion de mon propre portrait à celui de personnes croisées, comme un pied de nez à ces idiots du voyage qui ne rencontrent personne d’autre qu’eux-mêmes, critiqués de manière acérée par ce même humaniste. Le voyage nous construit, aide notre identité à s’installer, prendre racine. 

« Réconciliations ? » De soi avec l’Autre ? De soi avec soi-même ? S’interroger en tant qu’artiste sur cette délicate question, c’est d’abord prendre en compte les spécificités du territoire dans lequel on s’inscrit. C’est aussi le faire en ayant pleinement conscience des strates de temps qui doivent être pensées en globalité. C’est à un moment donné accepter l’idée que notre histoire commune à tous s’est construite sur des pouvoirs de domination avec en creux des relents de  hiérarchisation et donc de divisions et de conflits qui laissent des traumas. C’est accepter que nous ne sommes pas nés du bon côté. Recherche vaine et utopique que celle de penser la réconciliation dans notre territoire caribéen ? C’est une réflexion à laquelle pousse cette exposition, comme une invitation à jouer différemment la partition de notre humanité. « Je ne connais pas de meilleure école pour former la vie que de mettre sans cesse devant nos yeux la diversité de tant d’autres vies » (Montaigne, Essais, livre III, chapitre 9 « l’art de voyager »).

CeDo

texte écrit pour l’exposition «Réconciliations?», du 13 octobre au 3 novembre 2022, Arawak, Guadeloupe

LA RENCONTRE

Faire de l’altérité un voyage, miroir vers nous même

Et c’est précisément à l’intérieur de cette réécriture d’un récit qui ne serait plus dominé par le poids du passé que le travail de Cédo prend tous son sens.

Inscrivant sa série “Cosmogonies” dans l’espace temps caribéen, elle peut ainsi réfléchir sur une manière d'être au monde qui soit propre aux Antilles. Utilisant son parcours personnel, elle interroge la complexité et la diversité de notre rapport à l’Autre. Quelle place occupe alors la Rencontre dans et face à la souffrance vécue? Et de quelle manière peut-on l’envisager dans l’acte de réconciliation? La force de la série “Cosmogonies” c’est de laisser place à une large diversité d’interprétations de la question des réconciliations au travers les individus et leurs parcours.

Mais c’est aussi sa limite car si l’altérité peut être perçue comme une richesse porteuse d’espoirs (et donc de possibles réconciliations), elle est aussi vécu, par beaucoup d’autres, comme un outil de domination à leur encontre. Et donc de possibles fins de non recevoir aux réconciliations.

Laurent Marlin, 

Scénographe de l’exposition «Réconciliations?», du 13 octobre au 3 novembre 2022, Arawak, Guadeloupe

ART ET TAB(O)ULA RASA

Notes écrites pour mon intervention au Colloque « Art et (dé)plaisir » organisé par Dominique Berthet, directeur du Centre d’Etudes et de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques de Martinique, Arawak, Guadeloupe, 2021

INTRODUCTION :

Il y a presque 1 an et demi, je dévoilais dans ce lieu et pour la première fois, m’étant toujours refusé a exposer pour des raisons qui ont d’ailleurs à voir avec notre sujet, quelques pièces de ma création. La tache ne fut pas facile, ma réaction première face à cette invitation d’Élisabeth Gustave ayant été un refus aussi instinctif que catégorique… Du moins dans cette immédiateté qu’est la réaction du cœur avant celle de l’esprit. Et c’est par le même processus que je suis aujourd’hui devant vous, obligée que je suis encore une fois à sortir de ma zone de confort pour dire l’indicible, comme un tableau montre l’immontrable. 

 

BIOGRAPHIE :

Je m’appelle Céline Edon, alias CeDo. Après un bac littéraire, j’ai suivi des études d’arts plastiques à l’Université de Rennes 2. En 2004, à la suite d’une maîtrise, j’échoue à l’agrégation d’arts plastiques et décide de partir en mission humanitaire au Liban et en Syrie m’occuper d’enfants handicapés. Ce voyage est une révélation. Alors que j’envisage de laisser tomber l’enseignement pour des études d’art-thérapie, la rencontre avec Yvonne CHAMI, directrice du centre pour enfants, me bouleverse. De cet échange naît une nouvelle motivation et dès mon retour je me réinscris à l’Université. C’est alors que j’obtiens le CAPES et l’Agrégation. Après mon année de stage dans l’Académie d’Aix-Marseille, je suis mutée à Mayotte. C’est à cette période que je développe un goût prononcé pour les voyages que je pratique souvent seule accompagnée de mon sac à dos et de mon carnet de croquis. Réunion, île Maurice, Madagascar, Kenya, Tanzanie, Zanzibar, Turquie, Inde, Thaïlande... laissent une empreinte forte et donnent du sens à mes choix de vie. Je vis depuis 2010 en Guadeloupe et enseigne aujourd’hui la spécialité arts plastiques au lycée Baimbridge. Mon retour à une création plastique plus intense est en revanche récent, élevant seule ma fille de 6 ans. Et c’est donc dans ce lieu qu’ont été montrés mes tableaux pour la première fois. 

 

CEDO

Racine latine:

  • interjection: dis, donne, montre, vas, avance!

  • Verbe: aller, s’avancer mais aussi céder, se retirer, abandonner (céder, concéder)

  • Sens contraire… plaisir/déplaisir… 

 

TABOU ET TABULA RASA:

Jeu de mots entre «tabou» et «tabula rasa», expression latine… Je ne m’attarderai pas sur le sens des mots «plaisir» et «déplaisir». En revanche, l’émotion esthétique, qu’elle soit source de plaisir ou de déplaisir, nous dit surtout quelque chose de nous. C’est cela qu’il m’intéresse de développer ici. Elle peut résonner avec des valeurs (culturelles, liées à l’éducation…), activer en nous des réminiscences (liées à l’expérience, au vécu, au passé), elle peut aussi naître d’un effet de surprise que la pratique artistique permet par le biais de la rencontre plastique. On se rend compte que le fait qu’une oeuvre procure un plaisir OU un déplaisir n’est pas l’essentiel! Au delà de l’émotion ressentie, il convient de s’intéresser aux mécanismes qui permettent d’y accéder. De quoi suis-je construit pour arriver à ressentir soit un plaisir soit un déplaisir devant une œuvre d’art? Nous sommes ce que notre éducation, notre culture, nos croyances font de nous… Comme s’il y avait, culturellement parlant, des ressentis bons ou mauvais, acceptables ou inavouables…  Ce sont ces réflexions qui m’ont amené à la question du « tabou » en ce qu’il désigne un sujet qu'on ne doit pas évoquer selon les normes d'une culture donnée. Il renvoie à ce qui, conventionnellement, ne se dit pas, ne se montre pas… Notre territoire, celui de la Guadeloupe, par son histoire et son métissage, est au coeur d’un syncrétisme, qui, source d’innombrables richesses, est aussi complexe… Le tabou, « spécifique aux normes d’une culture donnée » comme je le disais précédemment, est ici d’autant plus difficile à objectiver… Nos histoires, nos expériences de vie, nos parcours, nos représentations, nos éducations…dans leurs pluralités mais aussi leurs divergences parfois, démultiplient dans notre territoire les diverses acceptions du mot « tabou ». Notre conditionnement social, notre formatage même, nous libèrent ou au contraire nous enferment dans des tabous… Le concept de « tabula rasa », littéralement faire « table rase »,  vient en ce sens appuyer celui de « tabou ». Faire table rase, se défaire de ce carcan qui brime/limite parfois, mais pas toujours, l’avènement d’une pensée nouvelle devant une œuvre d’art. L’œuvre d’art étant une fiction réalisée par un artiste qui se veut libre et fait sauter parfois ses propres verrous, pourquoi ne pas en profiter pour bousculer notre regard de spectateur, abolir nos certitudes et accueillir la déstabilisation de nos croyances comme une aubaine? Exposer peut demander un certain courage, car se soumettre au regard de l’autre, c’est accepter de dévoiler une part de nous-même. Au spectateur aussi de faire ce pas en avant, ce saut vers l’autre qu’est l’artiste, en se défaisant de ses propres schèmes: tabou et tabula rasa. C’est une invitation à sortir de la caverne, pour reprendre l’allégorie de citée par Platon…

 

LA PRATIQUE COMME CATHARSIS/EXUTOIRE: 

Comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai tjs été réfractaire à l’idée de montrer mon travail… Au caractère intime et autobiographique du sujet traité se superpose souvent, et c’est le cas ici, le caractère choquant/peut-être repoussant de la représentation (corps ouvert) et de la rencontre plastique (corps ouvert, détournement de Vierge à l’enfant). Exposer c’est aussi un peu s’exposer, se dévoiler, se mettre à nu. C’est dire l’indicible, montrer l’immontrable. C’est soi-même exposer ses tabous… Comme je le disais, mon retour à une pratique artistique régulière est récent et correspond à peu près avec l’invitation d’Elisabeth Gustave pour l’exposition « Strates ». Cependant, d’autres facteurs ont contribué à cette remise à la pratique. Et ces facteurs sont des émotions, des questionnements qui me traversaient péniblement à cette période : sans m’épancher, j’évoquerai une déception sentimentale qui a généré d’autres états d’âme plus profonds comme la solitude à deux qui se joue dans le fait d’élever seule un enfant. Ce qu’on laisse derrière soi, ce qu’on se doit de faire, le poids des responsabilités qui nous submerge, cet oubli de soi… une sorte d’abnégation qui laisse de profondes traces dans notre être au monde. Le déplaisir au sens d’un « sentiment pénible causé par quelque chose, par quelqu’un », était là, comme une présence insidieuse et envahissante.  Or, il y a quelque chose de tabou dans nos sociétés à tenir de tels propos, la femme devant tjs être performante et accueillir son statut de mère comme le plus beau rôle de sa vie… Ce constat a donné lieu à plusieurs œuvres. La proposition la plus radicale est sans doute ce grand triptyque « à cœur fermé » qui mesure 2m par 2m, qu’on peut voir comme le commencement à ces réflexions sur le déplaisir comme manifestation d’une émotion personnelle. Au déplaisir du sentiment éprouvé, s’est superposé ici le déplaisir provoqué par la difficulté à créer…Grand support auquel il a fallu se confronter, sorte de dépassement de soi, de ses limites et capacité… On est loin ici de l’idée de la création comme quelque chose de facile, inné… L’acte créateur joue le rôle ici d’une sorte de guérison puisqu’il permet de purger l’émotion, de la déposer, de l’EX-primer (mettre hors de…). Il permet de faire table rase de ce tabou ressenti. 

Cœur, poumons, cloche, mains… Plusieurs dualités : cœur protégé/cœur asphyxié par la cloche, mains qui protègent/ mains qui menacent… dualités qui ne sont pas sans rappeler celle du couple plaisir/déplaisir. La partie inférieure de la cloche est tapissée d’un collage réalisé à partir de reproductions d’œuvres anciennes dans lesquelles j’opère des découpages à vif. Leur point commun : exclusivement des vierges à l’enfant. Ainsi se juxtapose à l’idée du cœur blessé, celle de la maternité. En découpant ces figures, une constatation flagrante m’est apparue, l’expression du visage de ces vierges. Cette gravité inscrite dans leur regard, cette conscience de la responsabilité nouvelle qui nous incombe, ce lien, en creux, avec mes propres interrogations de mère. Bien que l’Histoire soit différente, cette mise au monde seule m’a interpellé car elle résonnait avec mon vécu. Cet intérêt pour le motif de la vierge à l’enfant a donné lieu ensuite à une série de 4 petits tableaux : « les p’tites vierges ».

 

« Les p’tites vierges »: détournement d’images de sculptures de Vierge à l’enfant,  collage sur fond de carte ancienne de la Guadeloupe, ouverture chirurgicale des vierges pour mettre en évidence les viscères, réhauts de couleur sous forme de dégoulinures, stigmatisation autour de la figure de la femme potomitan. Ouverture du corps comme déchirure physique mais aussi psychologique, métaphore de l’émotion vécue. 

La mise à nu d’une émotion se retrouve aussi dans un triptyque: « martyrs ». Le thème de la maternité y est aussi là, dans ce panneau central. Le déplaisir y naît sans doute d’une association.. Le cri en soi ne pose pas pb, sujet traité dans l’histoire de l’art, pensons a celui de MUNCH, qui bien que heurtant à sa création, fait aujourd’hui consensus autour de l’importance de cette toile dans l’histoire de l’art… le fœtus en soi ne pose pas de pb non plus.. Il est la vie… Mais cette association, « comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie» (Lautréamont, 1869) pour reprendre la pensée surréaliste, oui… cela pose problème… Nous sommes face ici à des « dissonances expressives signifiantes » (BRACY, Dérision, (dé)plaisir, division). Cependant, la subjectivité du spectateur, lors de la réception de l’œuvre, n’est pas la mienne… ce que le spectateur y voit ne m’appartient pas. A son déplaisir ne se superpose pas forcément le mien. D’ailleurs, il est très intéressant de vous dire ici des propos entendus au sujet de ce panneau… La corde autour du cou… Non, c’est le cordon ombilical… propos plutôt liés au déplaisir vous conviendrez… et pourtant, cela n’a pas empêché d’autres personnes de me faire part d’une puissance, celle liée à l’accouchement même! Le cri étant perçu ici comme une force, celui de la mère dans son effort.. en soi, quelque chose de beau.. Quelle genre de femme oserait dire aujourd’hui que la maternité peut parfois être vécue comme un fardeau? la question est taboue. L’œuvre d’art « permet de dire des vérités dérangeantes de façon métaphorique » Scarlett JESUS.

LA QUESTION DU TABOU: 

En ethnologie, un tabou est un acte interdit parce que touchant au sacré, et dont la transgression est susceptible d'entraîner un châtiment surnaturel. Il est à l'origine observé dans les cultures polynésiennes avant de se répandre universellement. Aujourd’hui, ce terme désigne un sujet qu'on ne doit pas évoquer selon les normes d'une culture donnée. Il renvoie à ce qui, conventionnellement, ne se dit pas, ne se montre pas : corps ouvert, détournement de l’iconographie religieuse, déplaisir (parfois) d’être mère… Si dévoiler un tabou peut mener au déplaisir, il faut bien aussi remettre ceci dans le contexte géographique, culturel de la réception de l’œuvre. Notre territoire, celui de la Guadeloupe, par son histoire et son métissage, est au coeur d’un syncrétisme, qui, source d’innombrables richesses, est aussi complexe… Le tabou, « spécifique aux normes d’une culture donnée » comme je le disais précédemment, est ici d’autant plus difficile à objectiver… Nos histoires, nos cultures, nos expériences de vie, nos parcours, nos représentations, notre éducation… nous libèrent ou au contraire nous enferment dans des tabous… Pour en revenir à l’art, nous savons qu’aujourd’hui, la notion de « beau » est surannée et a été balayée d’un revers de manche pour faire de l’art le lieu du nouveau, du bizarre, de la surprise, de la transgression.. Dominique BERTHET l’explicite à merveille dans son texte « L’expérience esthétique, plaisir et déplaisir ». Il dit: « il est possible d’être intéressé, subjugué, perturbé par une oeuvre pour d’autres raisons que le plaisir du regard. Ce qui importe (…) c’est qu’une oeuvre nous questionne, nous trouble, voire nous dérange, qu’elle nous donne, en plus, à penser et peut-être à agir. »

 

LES VENUS ANATOMIQUES:

Une Vénus anatomique est une femme en cire grandeur nature, souvent faite avec de vrais cheveux humains et des yeux de verre, créée pour enseigner l'anatomie au grand public vers la fin du XVIIIe siècle. Certaines peuvent être désassemblées, disséquées, pour dévoiler un fœtus dans l'utérus. D'autres sont présentées de façon fixe, les organes internes visibles: anatomiquement dévêtues. La beauté des Vénus anatomiques faisait partie d'une stratégie visant à séduire le spectateur et à lui donner l'envie d'apprendre, tout en le séparant des idées de mort et de tombe, en s'inspirant d'une longue tradition de représentations artistiques de Vénus, déesse de l'amour, de la beauté et de la fertilité.»

 

« Béance »: fermé, autoportrait… ouvert: mort! La mort, sujet tabou dans les sociétés occidentales… Dans « fête des morts », il y a « fête »… or, Je n’ai jamais autant fêter la mort que depuis que je vis en Guadeloupe, alors même que paradoxalement, je n’y ai pas de mort connu enterré! Cela n’enlève rien bien évidemment à la profonde tristesse ressentie, mais enfin il me semble que musique, palabre, recueillement, évocation de souvenirs, rires, participent à cette volonté d’honorer, et ce de manière joyeuse, positive, la personne disparue… D’ailleurs, ceci est visible à la Toussaint, mais aussi dans les veillées funéraires… Il y a donc bien quelque chose de culturel qui se joue dans la manière d’aborder la mort.. D’où la complexité du tabou…qui va nécessairement jouer sur la réception de l’œuvre! Pour en revenir à ce triptyque, je dirais que la gêne provient sans doute de la superposition entre l’autoportrait et le squelette. Et pourtant, n’est-ce pas le message de toute vanité, sujet très largement répandu dans la peinture depuis le 17ème siècle?

 

A la différence de l’œuvre précédente, le crâne est ici en relief car moulé à partir d’un crâne en résine emprunté à une collègue d’SVT.  Ajouté à la blancheur du plâtre qui rappelle les os véritables, la frontalité renforcée avec l’œuvre, qui littéralement sort du tableau, peut mettre mal à l’aise. Renforcement de la présence de la mort, on ne peut plus vivante d’ailleurs par la représentation des poumons (respiration, vie) et du papillon (symbole de transformation, de renaissance)..C’est de cette dualité que sans doute naissent plaisir et déplaisir face à l’œuvre. Pour reprendre l’expression de C. BRACY, nous sommes face ici à des « dissonances expressives signifiantes » (Dérision, (dé)plaisir, division).

LA QUESTION DE LA SCÉNOGRAPHIE:

Il y a l’œuvre et il y a le dispositif de présentation de l’œuvre, des œuvres, la mise en espace, la scénographie, de laquelle découle la rencontre avec le public. On est proche ici des accrochages denses des premières collections muséales. Proche aussi de l’esthétique du cabinet de Curiosités. D’ailleurs, les 2 sont intimement liés, le cabinet de curiosités étant considéré comme l’ancêtre du musée. Les cabinets de curiosités sont des pièces, ou parfois des meubles qui apparaissent au 16è siècle, où sont entreposées et exposées des « choses rares, nouvelles, singulières », on y trouve un mélange hétéroclite comprenant objets d'histoire naturelle (minéral, animal, végétal) et objets fabriqués de la main de l’Homme dont font parties les œuvres d’art. L’une de leurs fonctions était de faire découvrir le monde, y compris lointain (dans le temps et l’espace), de mieux le comprendre, ou de confirmer des croyances de l'époque (on pouvait y voir des cornes de licornes ou des œufs de dragons cracheurs de feu). N Le dispositif de présentation choisi, à la manière d’une galerie de portraits hétéroclites qui nous regardent, auquel s’ajoute la palette de couleurs ternes, comme anciennes amplifie le pathos déjà présent dans chaque oeuvre. La charge émotionnelle est démultipliée. Les retours au sujet de cette expo ont été variés: de celui qui ne peut regarder très longtemps ressentant une gêne, à celui qui aime beaucoup mais ne verrait pas ça chez lui, de celui qui n’aime pas mais reconnait que ça ne laisse pas indifférent à celui qui achète une pièce… Plaisir et (dé)plaisir sont bel et bien imbriqués…

   

LA QUESTION DU MASQUE MORTUAIRE:

Portraits des grands parents, COVID, mort du dernier grand parents, hommage, lunettes pour présence…Le masque mortuaire a joué un rôle fondamental en Occident comme objet transitionnel, où l’empreinte de la face du décédé permettait de conserver son souvenir, d’honorer sa mémoire.  Quoique cet objet ait participé à l’essor du portrait à la Renaissance et ait été couramment utilisé jusqu’au milieu du xxe siècle, force est de constater sa presque complète disparition aujourd’hui, en seulement une cinquantaine d’années. Il est devenu incongru, dérangeant, à peine se remémore-t-on son usage. on retombe dans le tabou. Il y a à peu près 10 ans, ayant perdu presque simultanément un grand-père du côté paternel et une grand-mère du coté maternel à l’approche de Noël, je décida d’offrir à mes parents endeuillés les portraits respectifs de leur parent parti.. on peut clairement dire que ce jour là j’ai plombé l’ambiance… Ma mère a presque été prise de convulsions à la vue du portrait de sa mère défunte.. le déplaisir était manifestement à l’œuvre, paradoxalement en regardant quelqu’un qui aurait du généré un plaisir… Ce tableau, vous le devinez n’a jamais été exposé.. il repose au fond d’un placard. MAIS lorsque j’ai soulevé l’idée de le récupérer il y a quelques années, pensant libérer ma mère d’un affreux cadeau, j’ai été surprise de sa réaction. Ce fut un NON catégorique. Même caché, le tableau comptait pour elle, lui apportant j’imagine une espèce de réconfort par le simple fait de sa présence quelque part dans la maison. Plaisir/déplaisir… comment pourrait t’ on encore essayer d’opposer ces 2 mots… D’ailleurs, je vous ai parlé de la réaction de ma mère mais pas de celle de mon père à la vue du portrait de son père défunt… Il a été ravie! Pris d’un plaisir incroyable, d’un « houééééé » joyeux, d’un plaisir spontané… Bon, le pauvre… il a pas le droit d’exposer son tableau mais ceci est une autre histoire… 

TABOU ET DISSONANCES CULTURELLES:

Contexte de la Caraibe, de la Guadeloupe, où je vis depuis plus de 10 ans… Phénomène d’imprégnation culturelle, renforcée depuis 6 ans par la naissance de ma fille née d’un métissage. Me donne une forme de légitimité, de nécessité même à m’intéresser à la question des origines, de ses origines… et comment, par descendance je m’approprie une Histoire à double points de vue. Celui de la femme blanche et tout ce que cela peut soulever de questionnements quant à la colonisation, mais aussi celui de cette même femme qui vit en Guadeloupe et par descendance, se sent concernée par cette tragédie historique. On est ici au coeur des questionnements liant plaisir et déplaisir car, selon le raisonnement que je viens de développer, le tabou étant culturel, on est face à des points de vue qui s’affrontent, s’interpénètrent, s’hybrident et pourquoi pas s’annulent pour créer du nouveau, ensemble. 

 

Donc abordons les œuvres qui questionnent les identités et les itinérances: 

 

« Incarnation»: Face à face entre mère enfant, avec ce poumon partagé, symbole de respiration, de vie. Fond de carte qui dit la Caraibe (poumon gauche) et l’Afrique (poumon droit). Réflexion aussi sur la question des Origines, induite par le métissage de ma fille.

 

« Appropriation »: Cette oeuvre est  d’abord une référence à la spoliation des biens culturels africains par la France. On retrouve au sommet de la coiffe de cette femme blanche les sculptures qui étaient conservées au musée du quai Branly qui viennent d’ailleurs, enfin,  d’être rendus au Bénin. Mais le propos s’élargit puisqu’on trouve aussi de part et d’autres du portraits d’autres objets d’art qui, eux, sont issus des collections du musée du Louvre. Réflexion plus globale sur comment la France a construit son patrimoine culturel sur les confisquations et les pillages avec, en creux, le rôle de Napoléon Bonaparte… 

 

Dans ces dernières œuvres qui traitent de la question des Origines, plaisir et déplaisir sont à l’œuvre, indissociables l’un de l’autre; d’autant plus que le regard porté sur les œuvres ne sera peut-être pas le même selon QUI regarde.. On retombe dans le culturel, dans l’histoire… En bref, ce qui fait l’identité de chacun avec les tabous qui vont avec… Entre « plaisir ressenti » qui vaut peut-être RECONNAISSANCE et « déplaisir » qui signale peut-être une GÊNE, une COLÈRE envers ce que dis l’œuvre, envers celui qui fait l’œuvre, qui se permet de faire cette oeuvre…« Les artistes qui attirent mon attention sont ceux qui exposent au public, à leurs risques et périls, leur propre manière d’interroger le monde, le corps, la sexualité, l’intimité, la souffrance psychique et physique, le rapport à l’autre. Leur audace (…) signifie le rejet des contraintes, du formatage social, du politiquement et idéologiquement « cor- rect », voire l’exécration des limites et des interdits imposés par la vie quotidienne et vécus comme des oppressions » (Marc JIMENEZ, entretien avec Dominique BERTHET, « Malin dé-plaisir ! ») .  

 

Portraits hybrides réalisés numériquement (superposition femme blanche femme noire). Idée de métissage…Personne et tout le monde en même temps… carte d’un géographe romain qui, avec les connaissances de son temps, propose une vision du monde ou les continents sont liés. Abolition des frontières, humain dans son universalité. Finalement, c’est ce que j’ai souhaité dire depuis le début… Mais sans doute ai-je eu besoin de décortiquer cette histoire, d’en proposer peut-être des images plus sombres, sémantiquement mais plastiquement aussi par les couleurs employées, pour aller vers quelque chose de plus apaisé, de plus plaisant… Faire table rase du passé, se libérer des tabous…

 

CONCLUSION:

En guise de conclusion, permettez moi de remonter le temps… car évidemment, invitée à ce colloque je me suis posée la question de l’apparition dans mon art de formes, de thèmes, d’iconographies renvoyant à cette dualité  plaisir/déplaisir.. je finirai donc cette intervention par mes recherches pour mon mémoire de Maîtrise qui s’intitulait: « pulvérulence ou l’autre endormi ».   

On retrouve ces visages qui crient, ces visages en souffrance… déjà une esthétique particulière. Mais au délà de la représentation, les matériaux même ont une charge émotionnelle forte: cendre, poussière, feu… expliquer le processus de création…ces matériaux résiduelles, pulvérulents, sont non seulement des matériaux non artistiques, ils portent aussi en eux une symbolique duel, comme plaisir et déplaisir … Ils sont la naissance et la mort… « tu es né poussière, tu redeviendras poussière »…. Le phœnix renaît de ses cendres, le feu purificateur…

 

Tab(o)ula rasa

CeDo

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